Durant ces cinq dernières années, nous avons perdu plusieurs grandes personnalités de la musique d’orgue du XXème siècle: Marie-Claire Alain, André Isoir, Michel Chapuis et le 12 janvier dernier Pierre Pincemaille. Toutes ces personnalités exceptionnelles auront su apporter beauté et lumière au service de la musique et plus particulièrement de leur instrument : l’orgue.
Loin de moi l’idée de disserter sur un homme que je ne connaissais pas personnellement et qui possédait des compétences musicales dont je ne disposerai jamais ; je tiens simplement à rendre hommage à un musicien ô combien talentueux que j’ai eu le plaisir et l’honneur d’entendre et de rencontrer brièvement.
Né à Paris, le 8 décembre 1956, dans une famille mélomane, Pierre Pincemaille commence le piano en 1965. C’est à l’initiative de son oncle qu’il découvre l’orgue à l’été 1968, le coup de foudre fut immédiat. Dès 1970, il est admis au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, en solfège spécialisé, avant d’entrer, quatre ans plus tard, dans la classe d’orgue de Rolande Falcinelli. Il obtiendra cinq premiers prix – harmonie, contrepoint, fugue, orgue et improvisation –, avant de remporter cinq premiers grands prix aux concours internationaux d’orgue de Lyon (1978), Beauvais (1987), Strasbourg (1989), Montbrison (1989) et Chartres (1990).
Reconnu à travers le monde pour ses talents d’interprète et d’improvisateur, Pierre Pincemaille possédait une virtuosité « diabolique », il avait aussi le secret de registrations originales qui témoignaient de son imagination sonore et était un maître incontesté en matière d’improvisation. « Qui n’a pas entendu ne serait-ce qu’une fois Pierre Pincemaille improviser ne peut vraiment comprendre ce qu’est un improvisateur : une aisance technique quasi diabolique, une imagination débordante et un prodigieux métier »…(extrait de l’Orgue Normand). Le 29 novembre 1987, en la basilique Saint-Denis de Paris, il donna son premier concert en tant que titulaire à la prestigieuse tribune de la basilique cathédrale des rois de France, poste qu’il conservera durant trois décennies. Avec son épouse Anne-France, ils auront donné sans relâche leur temps et leur énergie au service des offices de la basilique avec pour seul objectif d’offrir à l’assemblée beauté et spiritualité.
Pierre Pincemaille était « un homme passionné, excessif en toutes choses, généreux, exigeant, engagé, dérangeant souvent… » (Anne-France Pincemaille 12-01-2018). Il n’aura peut être pas toujours fait l’unanimité mais il aura laissé à toutes et à tous une profonde et forte impression.
Pierre Pincemaille avait eu l’honneur et le plaisir de côtoyer en son temps le grand Pierre Cocherau, titulaire des grandes orgues de la cathédrale Notre-Dame de Paris de 1955 à 1984. Bien qu’il n’eut jamais été son élève, Pierre Pincemaille avait pour le maître une admiration sans bornes. Il passa des heures à écouter et analyser les improvisations de Pierre Cochereau afin d’en saisir l’essence même et de se familiariser ainsi à son art. Il aura par la suite le désir profond de « reproduire dans “sa” cathédrale de Saint Denis ce qu’il avait connu à Notre-Dame avec le grand Pierre Cochereau », écrit encore Anne-France Pincemaille. En matière d’improvisation, il était ainsi à mon sens et à ma sensibilité le digne fils spirituel de Pierre Cochereau.
A l’été 2015, voulant saluer une connaissance, Stéphane Mottoul, qui venait de remporter le 1er prix d’improvisation du concours international d’orgue de Dudelange , j’ai entendu Pierre Pincemaille en concert pour la première et la dernière fois de ma vie le samedi 29 août 2015. Il était alors président du jury avec Bernhard Haas et proposait un concert d’improvisation en clôture du festival. Il improvisa sur 3 thèmes successifs en se servant des thèmes proposés par lui-même aux candidats du concours d’improvisation. En premier, il improvisa dans le style de Johann Sebastian Bach une «Partita» sur le choral «Nun danket alle Gott» avec successivement: l’harmonisation du choral – «Ricercare» à 5 voix – variation «figurée» – variation en trio – variation «ornée» – variation «fuguée». En second il improvisa un «Allegro symphonique» sur deux thèmes ; et pour terminer il improvisa un «Noël et Variations». Je suis sorti bouleversé de ce concert que le maître avait su magnifier de sa grandeur musicale. Après le concert, un verre était organisé, j’ai ainsi pu brièvement saluer le maître qui, malgré les prémices de sa maladie, n’avait rien perdu de son panache. Ils s’en allèrent discuter avec Stéphane et je retournai chez moi la tête remplie d’émotions et de respect pour cet immense musicien.
Pour terminer, je reprendrai avec respect les mots que Pierre Pincemaille écrivait lui-même en hommage à Pierre Cocherau en septembre 1992 dans le coffret « Pierre Cochereau, L’organiste de Notre-Dame ». Je ne sais pas s’il aurait aimé la comparaison mais les mots sonnent tout aussi juste d’un Pierre à l’autre! Il vous suffira de changer seulement quelques mots (nom de famille, âge et cathédrale) mais le texte conserve tout son sens :
« L’enchanteur disparu, il serait aussi inepte que vain de pleurnicher sur l’âge scandaleusement prématuré que choisit le Destin pour le ravir à notre affection. On aura garde de ne point oublier l’activité inouïe développée par cet homme prodigieux: Pierre Cochereau aura toujours vécu « à 200 à l’heure » et, s’il est vrai que l’âge de cinquante-neuf ans est arithmétiquement jeune, celui qui demeurera toujours dans nos cœurs l’Organiste de Notre-Dame nous a légué une magnifique leçon de vie, ayant doté la sienne d’un contenu que bien des centenaires seraient en droit de lui envier. »
Merci Maître pour votre musique ! Avec mon respect…
Olivier Toussaint